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Les risques

Quels risques à encadrer pour quels usages ?

La notion de risque est un élément central dans le sujet de l’autoconservation ovocytaire. En effet, si aujourd’hui la plupart des acteurs considèrent la technique de vitrification comme stabilisée, les conséquences de l’utilisation de la technique en elle-même sur la santé de la femme et ses chances de succès font l’objet de différents discours qui divisent les acteurs. Entre bénéfices de la technique pour la femme et risques pour sa santé et celle de son enfant, tous ne sont pas d’accord sur la limite à poser pour accepter ou non ces risques. Ces différentes positions sur les risques liés à l’utilisation de la technique mènent nécessairement les acteurs à définir des projets d’encadrement législatif différents pour l’autoconservation ovocytaire.

 

La définition de limites d’âges minimales et maximales pour réaliser une autoconservation ovocytaire cristallise les désaccords. Les acteurs ne sont pas d’accord à la fois sur les âges minimum et maximum à définir pour récupérer des ovocytes de bonne qualité sans altérer la fertilité de la femme au moment de la vitrification, mais également sur sur l’âge maximal à définir pour que la femme puisse reprendre ses ovocytes afin de réaliser une grossesse sans risques pour sa santé et celle de son enfant.

En ce qui concerne le premier désaccord en amont du processus d’autoconservation ovocytaire, le succès d’une fécondation in vitro (FIV) suite à une vitrification ovocytaire dépend largement de la qualité des ovocytes congelés et de la réserve ovarienne de la femme. Ces deux données biologiques ont tendance à diminuer avec l’âge - d’où l’intérêt de réaliser une autoconservation ovocytaire avec des ovocytes de femme jeune. Or, l’étude Optimal timing for elective egg freezing Fertil Steril (2015) montre que la plupart des femmes qui viennent vitrifier leurs ovocytes se présentent à la clinique à partir de l’âge de 35 ans, c’est-à-dire exactement quand la qualité de leurs ovocytes commence vraiment à décliner. Cette médiocre qualité des ovocytes à partir de 35 ans mène plusieurs acteurs à vouloir imposer un âge maximal pour autoriser les femmes à vitrifier leurs ovocytes.

De plus, la baisse de la qualité ovocytaire liée à l’âge nécessiterait également de réaliser un plus grand nombre de cycles de stimulation et de ponctions ovariennes pour la femme, ce qui comporte des risques pour sa santé. Ce processus de stimulation ovarienne extrêmement lourd pour la femme explique également pourquoi certains acteurs se prononcent également en faveur d’un âge limite minimum de vitrification en plus d’un âge limite maximal, parce qu’il ne serait pas souhaitable de soumettre une femme jeune et fertile à un traitement aussi lourd quand cela n’est pas encore nécessaire, ce qui pourrait de surcroît altérer sa fertilité.

En aval de ce processus d’autoconservation ovocytaire, les risques de complications médicales pour la femme mais aussi pour son enfant sont augmentés quand l’âge de la femme au moment de la grossesse dépasse un certain âge, une limite biologique qui dépend de chaque femme. C’est pourquoi certains estiment qu’il faudrait fixer un âge limite maximal pour recourir aux ovocytes vitrifiés, alors que d’autres considèrent qu’il faudrait décider au cas par cas en fonction de la santé de la femme concernée et ne pas poser d’âge limite dans la loi.

 

Un autre enjeu qui oppose les acteurs investis sur le sujet réside dans les risques socio-techniques et socio-éthiques liés à l’usage de la technique de vitrification pour l’autoconservation ovocytaire non-médicale : La surmédicalisation et la marchandisation du corps féminin, la réduction des libertés de la femme à cause des lois sur la procréation et la maternité trop strictes et le risque de donner de faux espoirs aux femmes en leur faisant croire que l’autoconservation est une solution miracle qui leur permettra d’avoir des enfants quoi qu’il arrive alors que les chances de succès du processus ne sont pas si élevées que ce qu’elles pourraient croire. Ces enjeux sont à la limite des réflexions qui se posent sur le projet familial tel que notre société l’envisage (voire la partie “Projet Familial” pour plus de détails).

 

Quels sont alors les risques liés à l’autoconservation ovocytaire - en tant qu’utilisation particulière de la technique de vitrification - qu’il faut encadrer à l’aide d’un texte de loi et comment les encadrer?

Trois positions émergent alors :

Position 1 : La vitrification ovocytaire est une technique fiable et l’autoconservation permettrait à toutes les femmes d’assouvir leur désir d’enfant.

 

La fiabilité et l’efficacité de la technique de vitrification ovocytaire prouvée par des documents scientifiques récents (voir les études dans le texte qui suit), et les bénéfices qu’elle apporte pour l’émancipation de la femme utilisée sous forme d’autonconservation ovocytaire ont mené plusieurs acteurs à fermement défendre son utilisation. Les risques inhérents à l’utilisation de cette technique sont alors beaucoup moins important que les bénéfices que cette technique apporte à la femme.


 

Argument 1 : La technique de vitrification est fiable, efficace et stabilisée.

 

« En France ça se passe très bien, il n’y a pas de désaccord sur la technique en elle-même. La vitrification se fait en quelques secondes à moins 196 degrés. » (Association MAIA, voir l'entretien).

 

La découverte de la technique de vitrification ovocytaire a considérablement amélioré les résultats donnés par les ovocytes congelés à l’aide de cette méthode, en comparaison avec la méthode de congélation lente qui était utilisée auparavant et dont les résultats étaient médiocres (Stoop et al., 2011). En effet, les chances de grossesses obtenues avec des ovocytes congelés donnent des résultats comparables avec les chances de grossesses obtenues avec des ovocytes frais de la même femme, tels que le souligne les rapports de Cobo et al. (2010) et Rienzi et al. (2010). Ces données, issues de la littérature scientifique, mènent à la conclusion qu’un taux de natalité de 4 à 5% est obtenu par ovocyte vitrifié pour des femmes de moins de 36 ans (Oktay et al., 2006; Le comité de la pratique du SART et de l'ASRM, 2008), ce qui signifie qu'il faut en moyenne 20 à 25 ovocytes vitrifiés pour avoir des chances raisonnables d’aboutir à une grossesse. .

 

Le nombre de rapports et d’études que nous avons précédemment cité attestant de ces résultats implique que la majorité des acteurs qui s’expriment sur ce sujet sont d’accord pour dire que la technique de vitrification en elle-même est stabilisée, fiable et efficace (MAIA, CCNE, CECOS, CNGOF, Fiv France, MGEN, Michael Grynberg, ESHRE, Conseil d’État).


 

Argument 2 : l’autoconservation ovocytaire est préférable aux autres méthodes de PMA en raison de son taux de succès élevé pour l’opération de FIV.

 

Un autre argument en faveur de la vitrification et de l’autorisation de son usage pour des raisons non-médicale est qu’elle serait préférable en termes de chance de succès par rapport aux autres recours à l’assistance médicale à la procréation tels qu’ils sont faits aujourd’hui. « Malheureusement les patientes qui viennent aujourd’hui, ce sont des patientes qui ont 38/39/40 ans. » (M. Grynberg) et ces femmes ont d’office des chances de succès très faibles pour que la tentative de FIV fonctionne. « Aujourd’hui, la sécurité sociale rembourse à tout le monde 4 tentatives de fiv sans discrimination en fonction des chances de succès:

  • à 32 ans, il y a moins de 60% de chance de succès pour une FIV.

  • à 42,5 ans il y a moins de 3% de chance de succès pour une FIV, et une femme aura également le droit à 4 tentatives. »

La même femme de 42,5 ans qui procèdera à une tentative de FIV alors qu’elle avait au préalable congelé ses ovocytes à 32 ans aura alors le même pourcentage de réussite que si elle avait fait la tentative de FIV à 32 ans.

 

« La préservation ovocytaire est le future de la PMA et l’avenir de la PMA. » d’après Nathalie Besnault de l’association MAIA. Ainsi, son usage permettrait d’éviter la multiplication de tentatives de FIV infructueuses, éprouvantes pour le couple et lui donnant à chaque fois de faux espoirs de succès.


 

Argument 3 : L’autoconservation ovocytaire permet d’élargir le champ des possibles pour une femme.

 

« Cela peut être un élément de rassurance individuelle, cela peut être la possibilité de se prévenir de certains risques d’infertilité, certains risques de pathologies futures. »  Eric Chenut (MGEN).

 

Du point de vue des acteurs défendant cette position, l’autoconservation ovocytaire est avant tout un moyen d’informer et de rassurer les femmes sur le risque de la perte de leur fertilité. « Il y a d’énormes progrès à faire en terme de communication sur le sujet de l’infertilité. »  précise l’association MAIA que nous avons interrogée.

 

L’autoconservation est également vue comme une mesure émancipatrice pour les femmes permettant de lutter contre les contraintes liées à l’horloge biologique dans un contexte où leur niveau d’éducation et de qualification est devenu supérieur (rapport sur la conservation des ovocytes du Conseil d’État, p.9), modifiant ainsi la temporalité de leur cycle de vie.

Ainsi, l’association MAIA se positionne comme suit : « Nous soutenons la possibilité de procéder à une autoconservation ovocytaire pour toutes les femmes sans conditions médicales.

  • Pour les femmes qui n’ont pas trouvé l’homme de leur vie.

  • Pour celles qui ne se sentent pas prêtes et qui voudraient avoir des enfants plus tard. »

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Position 2 : La vitrification ovocytaire est une technique stabilisée, mais l’autoconservation implique de nombreux risques socio-techniques et doit être strictement encadrée.

 

Si une grande partie des acteurs considèrent la technique de vitrification comme stabilisée, la plupart d’entre eux mettent en avant également l’existence de plusieurs risques, notamment la lourdeur de la technique et ses effets secondaires, les risques liés à l’âge de vitrification et de la grossesse, ainsi que les limites de la technique en termes de succès et le risque de donner de faux espoirs aux femmes.

 

Argument 1 : la lourdeur de la technique

 

Plusieurs acteurs soulignent la lourdeur des traitements nécessaires et l’existence d’effets secondaires indésirables et de risques médicaux (MAIA, CCNE, Réseau fertilité France, Conseil d’Etat). La stimulation et la ponction ovarienne implique des risques d’aggravations telles que des réactions locales au site d’injection (rapport de Fiv France), des affections iatrogènes (rapport du Sénat 2011), des irritations, douleurs abdominales, pelviens et autres effets secondaires plus rares.   

 

Selon des données citées par le Centre d’Étude et de Conservation des Œufs et du Sperme humain (CECOS), seulement une faible partie des femmes ayant congelé leurs ovocytes (1-5%) seront réellement dans la nécessité de les réutiliser. Ainsi une majorité de femmes devraient subir inutilement les traitements agressifs d’une stimulation de l’ovulation et d’une ponction d’ovaire.

 

Argument 2 : les risques liés à l’âge

 

Au-delà des risques liés à la stimulation et la ponction ovarienne nécessaires pour la vitrification, plusieurs arguments autour du risque sont liés à l’âge de la femme au moment de la vitrification, ainsi qu’au moment de l’utilisation des ovocytes.

 

En ce qui concerne l’âge au moment de la fécondation, les préoccupations des acteurs sont notamment liés aux risques associés à la grossesse tardive pour la mère et pour l’enfant. Plusieurs experts, institutions et autres organisations impliquées dans le sujet admettent l’existence des possibles risques médicaux accrus impliqués par le report de l’âge de maternité après 40 ans. Sur la question de la maîtrise de ces risques, les positions diffèrent.

 

Selon le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) et le le Centre d’Étude et de Conservation des Œufs et du Sperme humain, il est nécessaire de fixer une limite d'âge minimale et maximale pour la prise en charge des femmes souhaitant avoir une grossesse grâce à une FIV avec leurs ovocytes vitrifiés. En revanche, selon l’association MAIA, il faudrait adapter la limite d’âge de grossesse à chaque femme de manière individuelle, au cas par cas, avec tout de même une limite d’âge générale à titre indicatif (mais pouvant être modulable). L’association fait notamment référence aux cliniques étrangères qui n’acceptent pas de procéder à une FIV après 50 ans. Selon le Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français, l’âge optimal de grossesse serait avant 45 ans, éventuellement possible entre 45 et 50 ans sous réserve que l’état de santé de la femme ne soit pas incompatible avec le bon déroulement d’une grossesse et que la femme soit dûment informée des risques tant pour elle, aussi bien que pour l’enfant. Selon la Mutuelle générale de l'Éducation nationale (MGEN) et Michael Grynberg, le nombre de tentatives de FIV autorisées et/ou remboursées devraient également prendre en compte les risques et les limites liés à l’âge et être donc fixées en fonction de cela.

 

En ce qui concerne l’âge au moment de la vitrification, deux considérations s’affrontent. D’un côté, le taux de succès de la technique est directement lié à la qualité de la réserve ovarienne qui a tendance à baisser avec l’avancement de l’âge, ce qui favoriserait la vitrification à un âge plus jeune auquel la fertilité naturelle de la femme est à son niveau optimal. Selon le Comité consultatif national d'éthique, il faut donc congeler ses ovocytes le plus tôt possible. Or, d’autres acteurs tels que le le Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français, indiquent que la lourdeur de la technique fait qu’une autoconservation sans raison médicale avérée ne serait pas souhaitable avant l’âge de 30 ans. Une analyse de J. Hirshfeld-Cytron (citée par le Centre d’Étude et de Conservation des Œufs et du Sperme humain) sur des patientes âgées de 25 ans et qui désireraient un enfant seulement à 40 ans, a conclu que cette technique n’était pas du tout justifiée chez les femmes jeunes en bonne santé, avec un coût financier important pour la société (J Hirshfeld-Cytron et al. Fertility preservation for social indications: a cost-based decision analysis. Fertil; Steril. 2012, 97 : 665-70).


 

Argument 3 : les limites de la technique et le risque de donner de faux espoirs aux femmes

 

Même si des études sur la vitrification ovocytaire ont démontré des résultats assez consistants, il est important de rappeler que le succès du protocole n’est pas total : à chaque tentative de FIV/ICSI, la probabilité d’accouchement d’un enfant vivant est de l’ordre de 20-25 % seulement (Avis du CCNE sur les demandes sociétales de recours à l’assistance médicale à la procréation (AMP). Selon une autre récente étude étrangère, dans le meilleur des cas, le taux de naissances est de 62 %. Le déclin du taux de succès de l’AMP s’amorce dès 35 ans et s’accentue à partir de 37 ans (L’autoconservation sociétale des ovocytes : la position du Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français).

 

Compte tenu de ces données, certains acteurs identifient un nouveau risque : celui de donner de faux espoirs aux femmes quant à leur fertilité et leurs chances réelles de concevoir. Ce risque implique la nécessité d’une information adéquate des femmes intéressées par l’autoconservation de leurs ovocytes afin d'éviter de susciter de faux espoirs. Selon l’ESHRE, le message à délivrer concernant l’autoconservation ovocytaire doit être le suivant : les meilleures chances d’avoir un enfant pour des femmes en bonne santé est de le concevoir naturellement à un âge relativement précoce.

Position 3 : L’autoconservation ovocytaire pour des raisons non-médicales porte de nombreux risques socio-techniques et ne doit pas être autorisée.

 

Même si la plupart des acteurs de la controverse aujourd’hui se positionnent en faveur de l’autorisation de l’autoconservation sous des conditions et des limites variables, il existe également des positions en désaccord. Les principaux arguments contre l’autoconservation sont ceux d’une possible marchandisation du corps de la femme et des risques d’abus associés, ainsi que le risque de réduction de la liberté de la femme et de pressions sociales vis-à-vis de sa fertilité.

 

Argument 1 : la marchandisation du corps de la femme

 

L’un des principaux arguments d’opposition porte sur le risque d’une marchandisation du corps féminin. En 2011, le Sénat s'est prononcé contre cette pratique qui ouvre la voie à « une marchandisation du corps de la femme » pour Guy Fischer (CRC-SPG, Rhône) et à une « contractualisation de la maternité» pour Marie-Thérèse Hermange (UMP, Paris).

 

Sandra Blasiak, la représentante de l’Union Nationale des Associations Familiales que nous avons interrogée, s’ajoute à cette position, en évoquant également des risques possibles de manipulation et des activités illicites liées à la vitrification, notamment le vol et le trafic du matériel génétique.

 

Argument 2 : le risque de réduction de la liberté de la femme

 

Selon les propos du Conseil d’Etat, l’autorisation de cette technique pourrait conduire des employeurs à vouloir imposer l’autoconservation à leurs collaboratrices ou conduire celles‐ci, de manière plus insidieuse, à l’intégrer spontanément comme une contrainte nécessaire. L’UNAF considère aussi que l’autoconservation, plutôt que d’être une mesure émancipatrice permettant aux femmes de concilier carrière et enfants, est susceptible de créer l’effet inverse et contribuer aux pressions sociales. Le Conseil d’État évoque également le risque d’une pression trop importante de la maternité pour les femmes.


En conclusion : les différentes mesures recommandées pour encadrer les risques liés à la vitrification ovocytaire soulignent les divergences des acteurs autour de ce qui doit être considéré comme un risque ou non. En effet, si beaucoup reconnaissent l’existence de ces risques, tous ne leur donnent pas la même signification et la même importance et ne s’accordent donc pas forcément sur la manière de protéger les femmes qui voudraient avoir recours à cette technique. A travers la démonstration de l’existence de risques et leur analyse, les acteurs se positionnent et cherchent à déterminer quel devrait être le public concerné par la technique de vitrification ovocytaire, ou en d’autres termes, quelle femme devrait pouvoir avoir accès à cette technique et quelle(s) limite(s) donner.

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